La
république désigne la chose publique, la chose commune,
en opposition à la chose de quelques uns ou d'un seul.
Elle fait référence au but du pouvoir qui est l'intérêt
général. La démocratie, selon la célèbre formule du président
américain L. Jhonson, « c'est le gouvernement du peuple,
par le peuple, pour le peuple ». La démocratie désigne
donc le titulaire du pouvoir, c'est-à-dire le peuple.
République et démocratie renvoient donc à deux réalités
différentes, les valeurs qui les caractérisent sont diverses
mais souvent complémentaires. Aussi, une république est-elle
forcement démocratique ? Le peuple doit-il détenir le
pouvoir pour que le bien commun soit atteint ? République
et démocratie s'opposent-elles ou se complètent-elles
de nos jours en France ?
-
République et démocratie renvoient à des significations
différentes -
La
république
La res publica, littéralement la « chose publique
» en latin, désigne l'objet du pouvoir. L'objet du pouvoir,
c'est le bien commun. B. Kriegel nous dit fort justement
que la république répond à la question « quoi ? ».
Qu'est-ce que le but du pouvoir ? Le bien commun, l'intérêt
général. Cette forme de pouvoir est tout d'abord apparue
chez les Grecs. Platon et Aristote voyaient dans cette
forme de gouvernement la marque d'un État stable dont
la finalité était la poursuite de l'intérêt général. La
république pour Aristote est le régime qui recherche la
satisfaction des intérêts de tous les citoyens et non
de quelques intérêts particuliers.
Si la définition de la république est d'origine grecque,
sa consécration date de l'époque romaine. Rome est une
respublica car l'existence d'une chose commune
y est consacrée. Cette chose commune appartient au citoyen
et non à l'empereur. Ce dernier est là pour la garantir
mais elle ne lui appartient pas. Elle le transcende. Mais
si la république romaine vise le bien commun, elle n'est
pas pour autant synonyme de justice puisque les citoyens
n'y sont pas égaux. Tout comme chez les Grecs, les individus
qui accèdent au rang de citoyens sont peu nombreux tandis
que nombre d'entre eux sont des esclaves. À l'époque de
la Renaissance, la république est considérée comme une
forme de gouvernement stable à condition qu'elle soit
basée sur la force. Ainsi J. Bodin considère que tout
gouvernement légitime est une république et que celle-ci
doit s'accommoder d'un État fort, quasi monarchique. Pour
Bodin une monarchie peut tout à fait être républicaine
si elle tend au bien commun et si elle respecte les droits
fondamentaux des « francs sujets ». Ces droits
seront d'autant mieux assurés que l'État conserve le monopole
de la force et de la violence, le merum imperium,
et que le souverain crée et applique la loi sans délibérations
préalables. La république n'est donc pas synonyme de liberté
et n'a pas encore le sens que nous lui accordons aujourd'hui.
En effet, depuis la révolution française, la république
renvoie à la forme du régime, mais également à un ensemble
de valeurs qui la légitime. La république a partie liée
à la démocratie dans la mesure où le principe essentiel
sur lequel elle est basée est la souveraineté du peuple,
de la nation. L'article 3 de la Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen énonce que « Le principe de
toute souveraineté réside essentiellement dans la nation.
Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui
n'en émane expressément. ». De même, depuis 1884,
il est inscrit dans les constitutions françaises démocratiques
successives que « la forme républicaine du gouvernement
ne peut faire l'objet d'une révision ». Mais pendant
pratiquement un siècle, de 1789 à la fin du XIXe siècle,
ce principe de souveraineté n'est pas appliqué concrètement,
la persistance de pouvoirs et de régimes autoritaires
entravant sa concrétisation. Il est pourtant à la base
de la révolution française : le Tiers État, qui représente
le peuple, se déclare assemblée nationale le 17/6/1789.
Le peuple remplace le roi en tant que détenteur de la
souveraineté. Depuis la fin du XIXe siècle donc, une république
souveraine est une république où le peuple détient le
pouvoir, c'est-à-dire une république démocratique et non
monarchique comme le concevait Bodin. Mais nous y reviendrons.
En France, principal pays démocratique développé dans
lequel la république est la forme de gouvernement officielle
depuis deux cent ans, il existe des valeurs dites républicaines
qui se sont construites et solidifiées entre la Révolution
et la fin du XIXe siècle. La première d'entre-elles est
la primauté du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif,
de la loi sur le décret. Ce principe découle directement
du fait que c'est le peuple qui est souverain et qui délègue
cette souveraineté à une assemblée nationale élue. La
loi est donc magnifiée, glorifiée. La république garantit
la liberté des citoyens par le droit et non par la force.
La loi n'est pas décidée autoritairement mais débattue
de manière collégiale. Pour Rousseau, elle est l'expression
de la volonté générale. Le primat de la loi a longtemps
caractérisé l'idée républicaine même si cette prééminence
a de nos jours du plomb dans l'aile. En effet, la V république
de 1958 a créé un déséquilibre très important entre pouvoir
exécutif et pouvoir législatif au profit du premier, notamment
en encadrant le rôle du parlement qui voit ses compétences
affaiblies. Les IIIe et IVe républiques se caractérisaient
au contraire par la primauté du législatif, omnipotent,
sur l'exécutif. L'action du gouvernement était fortement
dépendante du jeu et des alliances entre partis politiques
source d'instabilité institutionnelle. Le règne des partis
s'exerçait contre l'intérêt général, qu'un gouvernement
fragilisé par leur inconstance et leur calcul à court
terme, ne pouvait rechercher et atteindre pleinement.
Car en effet, la république moderne a en commun avec la
république antique la recherche de l'intérêt général.
C'est le second principe répu-blicain. Pour ce faire,
l'État républicain doit s'attacher à unifier la nation
autour de valeurs communes et à ne pas faire de discrimination
entre ses citoyens. D'où la création en France d'un vaste
service public, gage d'égalité, d'impartialité et de neutralité.
La République est « indivisible » ; elle est «
une », vectrice d'unité et d'égalité. C'est à l'État
central de fabriquer de l'unité à partir du multiple.
C'est en partie pourquoi la France est un pays si centralisé.
La centralisation française découle de ce principe, c'est-à-dire
de la volonté étatique de préserver l'intérêt général.
Aucun corps intermédiaire ne doit s'interposer entre les
citoyens et l'État. Comme le souligne Pierre Rosanvallon,
« La révolution n'a laissé debout que des individus
face à l'État ». La loi Le Chapelier de 1791 qui abolit
les corporations s'inscrit dans cette volonté de suppression
des corps intermédiaires qui érigent leur intérêts particuliers
contre l'intérêt général.
Dès lors, et c'est le troisième principe républicain,
l'école se voit assigner la tâche d'éduquer les individus-citoyens,
« d'élever les âmes au niveau de la constitution »
comme disait Mirabeau. Sans éducation, point d'égalité
réelle. L'école de la république, fidèle à l'esprit rationaliste
des Lumières, est l'institution majeure qui prépare les
citoyens à l'exercice de la démocratie et qui favorise
la promotion sociale, quatrième valeur républi-caine forte.
La promotion sociale c'est la possibilité que doivent
avoir les enfants de dépasser leurs parents dans la hiérarchie
sociale. La république est un cadre politique et social
qui doit garantir l'égalité des chances. C'est l'école
qui offre cette possibilité à chacun en transcendant les
inégalités dûes à la naissance.
Enfin, le cinquième pilier de la république est la laïcité.
La république française est laïque, c'est-à-dire qu'elle
instaure la séparation du théolo-gique et du politique.
D'une part, Église et État sont séparés et d'autre part
l'État est neutre à l'égard des différentes religions
qui sont tolérées au sein de la république. La neutralité
n'est pas une molle indifférence mais la reconnaissance
et le respect de toutes les grandes croyances sans chercher
à en imposer aucune. La séparation entre Dieu et César
doit dans ce cadre être complètement étanche et les deux
sphères ne pas s'influencer ou s'interpénétrer. Ces valeurs
républicaines sont en théorie différentes des valeurs
sur lesquelles repose la démocratie.
|