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Extrait : Travail et exclusion
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«Tout le malheur de l'homme vient d'une seule chose qui est
de ne pas savoir rester seul dans une chambre ».

Pascal, Pensées, Misère de l'homme sans Dieu.

« Travailler est la seule manière de vivre qui plaise à Dieu ».
Max Weber, l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme.

À l'origine, le travail qui vient du latin tripalium, est un instrument de torture, une machine faite de trois pieux. Dans les sociétés antiques, le travail est une activité indépendante attachée à la nécessité, et que l'on méprise. Aujourd'hui encore, le mot a conservé une certaine connotation négative ; quelque chose qui nous travaille est une idée négative dont on ne peut se départir. Cependant, sous la double impulsion de l'économie et de la philosophie, le travail est devenu de nos jours la valeur centrale de nos sociétés, le moyen privilégié d'insertion sociale. Loin d'être une torture, il permet la réalisation de soi. Ainsi, l'exclusion croissante se définit essen-tiellement par l'absence de travail. Mais si ce dernier est pensé comme la forme la plus haute du lien social, il parvient de moins en moins à exercer son rôle d'insertion. Est-il nécessaire dans ce contexte de repenser son rôle ? Doit-on réduire sa place ?

- L'évolution de la notion de travail -

Dans le monde antique et chez les Grecs notamment, le travail est une activité dégradante car celui qui travaille est obligé de le faire pour vivre. Le fait de travailler pour vivre est infamant et seuls les esclaves travaillent. Pour Aristote, « toute activité imposée par la nécessité est fâcheuse ». Le travail est servile, il implique la dépendance. Il ne permet pas à l'homme de se réaliser. Pour Platon, l'esclave est celui qui n'a pas eu le courage de se donner la mort face à l'impossibilité qu'il avait d'être libre. Il est méprisable car la seule vraie alternative qui se pose à l'homme est la liberté ou la mort. L'esclavage est le moyen d'éliminer le travail de la vie quotidienne des hommes libres, c'est-à-dire ceux pour qui il ne constitue pas une nécessité.
Comment dès lors l'homme se réalise t-il ? À travers la pensée, la parole, ou encore l'oisiveté. La scholé pour les Grecs ou l'otium pour les Romains, c'est le temps que l'homme consacre à l'apprentissage de la pensée et de la philosophie, grâce auxquelles il peut s'élever vers la spiritualité. Pour Aristote encore, le loisir doit constituer la finalité de toute action. L'activité de contemplation, la theoria, est ce qui permet à l'homme de se réaliser. La scholé s'oppose donc au ponos et l'otium au negocium (le négoce, le commerce) qui renvoient aux activités dégradantes, pénibles, et dignes d'être exercées par des esclaves.
À l'inverse, dans nos sociétés contemporaines, le travail est une valeur primordiale grâce à laquelle l'homme se réalise, et autour de laquelle tout s'organise. Des explications tant économiques que philosophiques permettent de rendre compte de cette inversion des valeurs.

- Les raisons philosophiques -

La première coupure majeure avec la conception du travail comme activité servile, s'opère par l'intermédiaire du Christianisme. Elle intervient en deux temps. Jusqu'à la fin du Moyen Âge, le travail est considéré comme une punition infligée aux hommes par Dieu. « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain » peut-on lire dans la Genèse. Pourtant Dieu lui-même travaille ; il s'est consacré six jours de la semaine à créer le monde et s'est reposé le septième jour. Mais le repos divin n'empêche pas le travail de rimer toujours avec nécessité et pénibilité. C'est au Pré-Moyen Âge, sous l'impulsion de Saint Augustin, que la vision du travail se modifie quelque peu. L'oisiveté devient un péché suprême (un des sept péchés capitaux) car elle détourne l'homme de Dieu. Grâce au travail l'homme ne succombe pas à ses tentations et peut donc se rapprocher du Créateur. Tout travail n'est certes pas recommandable et seul le travail intellectuel permet de se réaliser, d'ajouter de la valeur au monde. L'homme n'est plus méprisé parce qu'il travaille car la religion chrétienne affirme que la vie terrestre est sacrée. Puisque la vie est sacrée, il faut vivre. Pour vivre il faut travailler. Ce que Hannah Arendt résume en écrivant que l'on « ne pouvait plus avec Platon reprocher à l'esclave de ne s'être pas tué au lieu de se soumettre, car rester vivant en dépit de toutes les circonstances était devenu un devoir sacré et l'on jugeait le suicide pire que l'assassinat » .
Cette première reconnaissance du travail ne correspond cependant pas à une valorisation de cette valeur pour autant.
C'est le protestantisme qui constitue la deuxième coupure avec le monde antique. Max Weber décrit ainsi comment le protestantisme résout la contradiction entre la vision pénible du travail et sa vision moderne positive. La valeur travail est moralisée. Le travail devient un bien suprême qui glorifie Dieu et qui permet l'accession à la richesse que les protestants valorisent. La hiérarchie sociale qui résulte du travail est un souhait divin. Le travail est une éthique, un devoir qui honore Dieu. Pour Calvin, la réussite matérielle est un des signes de l'élection de l'individu par Dieu. Au contraire, dans la religion catholique, le salut s'obtient avant tout par les œuvres. On comprend dès lors pourquoi le capitalisme s'est développé dans les États protestants valorisant l'éthique du travail. Par ailleurs, des philosophes tels que Kant, Hegel, ou Marx ont largement contribué à faire évoluer la notion de travail.
Pour E. Kant le travail a des vertus éducatives. Par le travail, l'homme parvient à se connaître et à découvrir des valeurs comme l'effort, le mérite ou la patience. Réaliser une œuvre grâce à son travail, tel est le but de l'homme qui ressent de la satisfaction à produire quelque chose. « L'homme est le seul animal voué au travail » énonce Kant. Le travail est le moyen de transformer l'environnement naturel, d'introduire une médiation entre l'homme et la nature.
Pour Hegel, l'homme se réalise et ne parvient à se connaître que grâce au travail, cette activité spirituelle qui permet de se confronter à la nature. En travaillant, l'homme détruit le naturel et s'oppose à une extériorité.
Marx reprendra cette conception hégélienne du travail en la comparant à la réalité de son temps pour critiquer le capitalisme qui dépouille l'homme de son humanité en ne lui permettant pas de se réaliser par l'intermédiaire de son travail. En effet, pour Marx, le capitalisme, par les cadences de travail effrénées qu'il impose, asservit l'homme au lieu de le libérer. Ce dernier ne produit d'ailleurs pas pour lui puisque sa production ne lui appartient pas.
De plus, Marx dénonce le fait que le travail humain soit devenu, de par le développement du capitalisme, une marchandise à part entière, qui peut être achetée ou vendue sur un marché, le marché du travail. L'homme ne serait plus qu'une marchandise dont le prix peut être comparé à celui d'une machine qu'il sera préférable d'utiliser si elle est moins chère. Pour Marx le capitalisme crée volontairement du chômage, il constitue une sorte « d'armée de réserve » de travailleurs, afin d'exercer une pression à la baisse sur le coût du travail pour l'employeur, c'est-à-dire le salaire. Le chômage est donc un moyen de régulation.
Au XVIIIe siècle, le développement du capitalisme contribue à changer la vision que la société a du travail.

- Les raisons économiques -

À partir du XVIIIe siècle (révolution industrielle, théories écono-miques d'Adam Smith) et dans le prolongement du protestantisme, la vision du travail change définitivement. L'avènement de l'individu et la valorisation de l'enrichissement comme moteur social, conduisent à un développement de l'échange marchand et à une division du travail accrue. L'échange devient alors le producteur du lien social, le cœur de la logique économique. Le primat de l'économie, qui définit des lois écono-miques naturelles, installe le travail au centre de la vie sociale. Elle oblige la société, si elle veut exister, à ne pas cesser de produire, d'échanger, et donc de travailler, car c'est le travail seul qui permet l'échange. L'économie fait donc du travail le signe majeur d'appartenance à la société. Dans l'Ancien Régime, le travail était cloisonné en différents corps de métier. Les individus ne pouvaient offrir librement leur force de travail sur un marché, dans une société où la recherche du gain individuel était méprisée, car forcément acquise au détriment du collectif. Le marché du travail n'existait pas. Avec Mandeville et Smith , se développe l'idée que les vices privés font le bien public, que l'intérêt individuel et la poursuite des intérêts égoïstes ne peuvent se réaliser que grâce au travail. Pour A. Smith, si chacun travaille égoïstement dans son coin la « main invisible du marché » coordonne au final tous les comportements individuels de sorte que l'intérêt général est toujours satisfait. Aujourd'hui, le travail est plus que jamais perçu comme la réalisation de soi. C'est pourquoi il occupe une place centrale dans nos sociétés contemporaines. Quelles sont les conséquences de cette centralité ?

Extrait : Démocratie et république

   
M. GUY-GRAND
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